Pourquoi les animaux nous touchent…

Longtemps, les animaux n’étaient considérés qu’en fonction de leur utilité. Aujourd’hui, ils suscitent en nous d’authentiques émotions et font parfois même partie de la famille.


ISABELLE TAUBES

Qu’est-ce qui nous attire vers eux ? Un vide affectif ? Une misanthropie galopante ? Ou est-ce une nouvelle façon d’envisager les êtres et les choses ? Toute créature à poil ou à plume capable de nous autoriser à croire qu’une relation affective est possible peut devenir notre animal de compagnie. C’est le désir d’un amour inconditionnel qui nous pousse vers les animaux. Le pire des crétins est idolâtré par son chien qui lui reste fidèle et ne le juge pas. Selon une hypothèse en vogue chez les anthropologues, nous serions génétiquement programmés pour être émus par les créatures dotées d’yeux ronds, qui poussent des petits cris et paraissent vulnérables comme nos bébés humains. De là, la tendance marquée à fondre devant les chiots et les chatons. Et le réflexe de parler « bébé » avec nos compagnons à quatre pattes. Selon Dominique Guillo, sociologue et anthropologue, auteur de Des chiens et des humains, cette habitude, à première vue très régressive, est plus rationnelle qu’il y paraît : elle tient à ce que nous savons de la compréhension très limitée de nos compagnons.

Une transmission familiale et culturelle

Pourtant, dans d’autres pays, nous verrons des gamins et des adultes maltraiter des animaux sans défense ou décréter qu’ils sont sales, impurs. Nos émotions sont aussi le produit d’un apprentissage, d’une transmission familiale, culturelle. Peut-être faut-il avoir appris que les chatons sont mignons pour avoir envie de les câliner. D’ailleurs, des siècles de philosophie classique nous ont appris à opposer l’homme à l’animal, être inférieur, machine insensible. « Non, je ne devrais pas être aussi touchée par les animaux, par leur fragilité, je ne peux pas supporter l’idée qu’on leur fasse du mal. Ce n’est pas normal », s’inquiète Marie-Laure. « Parfois, effectivement, une sensibilité débordante vis-à-vis d’eux vient compenser une incapacité à se laisser aller avec les humains, explique le psychanalyste Gérard Morel. Mais il n’y a pas forcément erreur dans l’émotion extrême face à l’animal. » En sa présence, en effet, nous produisons de l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, facteur de bien-être, sécrétée dès que nous sommes entourés de gens de confiance.

Selon Dominique Guillo, la thèse selon laquelle l’animal ne serait qu’un substitut, un doudou vivant pour échapper à la solitude ou réparer l’absence d’enfant, est démentie par la réalité : « C’est surtout dans des familles que vivent les animaux de compagnie. Des gens qui ont des amis et une vie professionnelle bien remplie en adoptent. » Et la relation avec l’animal peut parfaitement combler, jusqu’à un certain point, nos besoins de sociabilité. Dans des moments de déprime, de fragilité, elle peut être préférée à l’échange avec nos semblables.

Moins décevants que les gens

L’impératif moral selon lequel il faut s’occuper des humains avant des animaux dissuade d’avouer ses sentiments tendres à leur égard. Comme s’ils étaient volés aux humains… Or, une étude récente montre que communiquer avec un animal développe nos capacités d’attention à nos semblables. Et effectivement, la plupart des grands humanistes (Montaigne, Gandhi, Hugo…) ont aussi été des défenseurs des animaux. Il est vrai que Brigitte Bardot s’est souvent fait remarquer par des comportements et des propos pas du tout empathiques s’agissant de ses semblables. « En réalité, le misanthrope est souvent un humaniste déçu, décrypte Gérard Morel. Il en veut aux hommes de ne pas se montrer dignes de ses espoirs. De ne pas être aussi loyaux, fiables, en un mot, « humains », qu’ils le devraient. » Et si certains d’entre nous sont plus émus par un oisillon tombé du nid que par un vieux monsieur qui fait un malaise en pleine rue, ce n’est pas par indifférence. Bien au contraire. « Le petit oiseau en détresse éveille un réflexe de protection, affirme le psychanalyste. Tandis que l’homme en danger nous renvoie à l’angoisse de notre propre mort. Nous préférons donc regarder ailleurs ». Selon le philosophe Peter Singer, penseur de la « libération animale », auteur de L’égalité animale expliquée aux humains, nous devons prendre en compte les intérêts de l’animal, car il est notre égal.

Les vertus du refoulement

Nul n’a jamais lancé de mouvement en faveur des scorpions, des blattes ou des mouches. Nous sommes d’autant plus touchés par un animal qu’il déclenche en nous une émotion esthétique. Nous admirons les grands fauves pour leur beauté et leur puissance et nous sommes émus face à eux quand nous les savons en péril. La baleine qui nage avec son petit nous semble d’autant plus majestueuse et touchante qu’elle est la proie des pêcheurs. En voyant l’ours blanc prisonnier de sa banquise, qui fond par notre faute, nous oublions qu’il pourrait nous massacrer d’un coup de griffes. Mais comment pouvons-nous continuer à nous repaître de petits veaux, agneaux, poussins, « mignons », attendrissants ? En fait, le refoulement, opération psychique qui consiste à enfouir dans l’inconscient les images trop perturbantes, nous protège si bien de la culpabilité qu’en mangeant une escalope, nous oublions totalement que nous sommes en train de dévorer un animal. Une preuve supplémentaire du génie humain ?w

Les commentaires sont fermés.